Préambule
   
   

Qu'est ce que le candomblé ?

 
 

Qu'est-ce-que le candomblé ?

  • L'esprit du Candomblé

Afin de permettre une meilleure lecture de ce travail, il m'a semblé nécessaire de proposer une esquisse de ce qu'on peut désigner comme l'esprit du candomblé.

Il ne s'agit pas d'entrer dans une recherche détaillée sur les modalités du culte, c'est-à-dire dans un descriptif d'observation sur le culte lui même. J'ai voulu, davantage, par souci d'ouvrir la voie à la compréhension de la cosmologie et la représentation de l'univers du candomblé, aborder ce travail avec un minimum de base pour appréhender mon objet d'étude, plutôt exotique pour nos visions européennes.

Le Candomblé peut être considéré une religion parfois difficile à saisir pour nos esprits déjà modelés par une tradition judéo-chrétienne. Dans la mesure où il ne devient l'objet charnière de ce travail que pour mettre en valeur son propre enjeu externe pour la culture bahianaise, mon angle d'approche est tout autre que celui que j'aurais eu si j'avais voulu disséquer mon objet pour n'en comprendre que ses bouleversements internes.

L'univers est à la fois sacré et concret. Il se compose de deux mondes, Orum et aiê, le monde surnaturel et le monde physique. Au plus simple, on traduit Orum par ciel et aiê par terre mais cet équivalent est très approximatif. Aiê c'est le monde physique, la vie terrestre. Orum, c'est tout le reste, c'est-à-dire le monde surnaturel qui inclut, la terre et l'enveloppe. C'est en quelque sorte l'au-delà, l'autre monde.
Selon certains auteurs (Roger Bastide, Pierre Verger), il se compose de neuf espaces, neuf couches unies par un pilier central ou par une chaîne (il est visible par exemple dans le Barracao, la maison de Casa Branca ). Quatre espaces sont situés au dessus de la terre, et quatre espaces en dessous. Celui du milieu recouvre et enveloppe la terre. Tout ce qui existe dans le monde concret, existe aussi dans le monde surnaturel. Le monde concret est la manifestation physique de l'autre monde. Les Dieux prennent part à la vie terrestre par le jeu des offrandes des hommes. Les morts sont issus de la terre et reviennent pour donner des conseils à leurs descendants. Il y a donc un mouvement constant de va et vient entre la terre et l'au-delà. Ce sont deux niveaux d'existence qui se complètent et se pénètrent mutuellement. Le principal acte et passerelle entre ces deux univers est réalisé par la transe. Toutes les célébrations ont pour but de rétablir le courant entre ce monde et l'autre, augmenter les échanges.

La transe mystique a longtemps fasciné nombre de chercheurs. Que se passe-t-il dans ces moments d'inconscience où le sujet vient danser une danse mystique au devant des atabaques  ?
Je dirais que la transe est une représentation corporelle et chorégraphique de l'inconscient sous contrôle. En cet instant, il ne s'agit plus d'un danseur ordinaire mais de son ORIXA, le maître de sa tête. Les dieux descendent sur terre l'espace d'une nuit pour venir nous visiter. La danse des Orixas c'est un peu la représentation sous forme chorégraphique et codifiée de la cosmologie des forces de la nature et l'inconscient collectif.

L'Orixa est un personnage métaphorique auquel on associe une couleur, un animal sacré de référence (par exemple, pour Oxalufam l'animal sacré est l'escargot), mais aussi un archétype de comportement et de caractère faisant référence à la mythologie propre de l'orixa et le support que lui offrent les forces de la nature (Yansan : la tempête et le vent ; Xangô : la foudre et le tonnerre ; Ogum : le feu et le fer ; Yemanja : les eaux salées ; Oxum : les eaux douces).

Ainsi, entre l'orixa et une personne s'instaure une négociation comme si on cherchait à faire coïncider un calque entre l'individu et sa divinité pour atteindre l'harmonie et l'accord sans contradiction avec soi même.

Il ne faut pas voir dans le candomblé un déterminisme absolu. Au contraire, il est dynamique car l'individu est aussi acteur de son destin. Cette dynamique est le fruit du rapport de négociation perpétuelle entre l'individu et son double.

Mes orixas forment une famille complexe avec des alliances et des liens sanguins qui les mettent en rapport les uns avec les autres. Ces relations et ces enjeux sont aussi ceux des hommes et de la condition humaine, comme si c'était une histoire inscrite dans nos gènes (ou au fond de notre inconscient) qui se perpétuerait depuis des milliers d'années.



  • Le 14 juin 2001, fête à la Casa Branca , mon premier contact avec une cérémonie

« Je suis arrivé parmi les premiers dans la salle où il y avait une vingtaine de personnes installées sur les banquettes rudimentaires qui bordent le pourtour de la pièce. Celle-ci est rectangulaire et possède en son centre un immense pilier en bois allant du sol au plafond. Disposées autour de ce pilier se trouvent des chaises hautes toute sculptées et travaillées. Ce sont des chaises dépareillées en bois , de hauteurs, de couleur et de styles différents. Au-dessus de ces chaises et suspendue au pilier en forme d'anneau, il y a une gigantesque couronne de bois sculpté d'environ deux mètres de diamètre. C'est la couronne de Xango, l'Orixa de cette maison.

La salle est divisée en deux, avec d'un côté les hommes et de l'autre les femmes.

J'ai été surpris par le nombre de personnes qui ont pu assister à la cérémonie. Dans cette salle d'à peu près 200 m 2 , se trouvent environ 350 personnes. Il faut dire que les cérémonies comme celle-ci sont ouvertes à tous.

En l'espace de quatre heures, les interactions sont nombreuses. Il me sera difficile de comprendre toute la complexité des échanges et des relations qui peuvent s'y dérouler. Surtout en 9 mois de travail, c'est le travail de toute une vie. Certains, viennent là depuis leur plus tendre enfance, d'autres ont été amenés par des amis ou encore à cause de problèmes personnels.

Dans cette pièce, se jouent des enjeux de pouvoir qui me dépassent de beaucoup, surtout lorsqu'il s'agit d'une personne aussi étrangère que moi à la pratique religieuse du Candomblé.

Les gens sont arrivés progressivement, de conditions sociales me semble-t-il très variées. Là aussi, il me sera difficile d'apprécier les conditions sociales. Dans une fête comme celle-ci, il est normal d'être très bien habillé. Il n'est pas toléré d'entrer en short et en sandales. En conséquence, les parures de colliers en or et les vêtements sont ici un signe extérieur de richesse qu'il est difficile d'apprécier. Est-ce que ce ne serait pas plutôt un signe du degré de rapport et de sympathie que l'on porte à la religion ? La majorité était « noire » et métissée mais là aussi, cela ne veut pas dire grand chose dans une ville comme Salvador où 90% de la population est afro descendante ou a eu un aïeul afro descendant.

J'ai vu aussi des touristes, anglais, américains, européens et australiens, facilement reconnaissables à leur mine rouge et à leur tenue décontractée de vacanciers.

Je pensais m'être très bien placé pour pouvoir observer la cérémonie, mais à mesure que les gens sont arrivés, une foule de personnes s'est amassée autour du pilier central, devant les gens installés sur les banquettes. Un des Ogans du terreiro était à l'entrée pour accueillir les arrivants, certains déjà connus ou faisant partie de la communauté, on leur installait une chaise en plastique au-devant du pilier. Les filles de saint (toutes des femmes plus ou moins âgées) ont fait leur entrée, sous le rythme des atabaques et portant des plats à la main. Elles se sont mises à tourner autour du pilier central où la foule leur avait laissé un mince couloir.

La chaleur, la musique des atabaques, les chants religieux, l'attente de plus d'une heure avant le commencement du rituel, ont rendu par moments l'atmosphère « irrespirable ». J'avais, en effet, du mal à respirer, comme si ce lieu n'était plus ventilé. L'un des touristes, un Américain placé pas très loin de moi, est parti presque au début de la cérémonie, sans doute excédé par la foule et la visibilité quasi nulle à cause de l'accumulation des personnes au-devant du pilier central.

Les percussions changent de rythme pour honorer les Dieux, le premier rythme joué étant toujours celui d'Exu, puis Ogum. Les autres, je ne les connaissais pas parcequ'il faut avoir l'oreille entraînée pour savoir les reconnaître.

Dans la deuxième partie de la cérémonie, les Orixas ont pris place dans la salle, reconnaissables à leurs magnifiques costumes. Chaque rythme évoqué par les atabaques a donné lieu à la danse de l'Orixa correspondant. Les chevaux entament des danses avec une légèreté et une souplesse prodigieuses, malgré leur âge et la corpulence de certains danseurs. Les mouvements chorégraphiques semblent très codifiés, remontant au plus profond de l'inconscient. »

 

  • Les hommes et les dieux 

L'homme est un microcosme où se nouent toutes les forces du monde. Il a sa signification individuelle ( ori, sa tête) , son chemin personnel ( odu, son destin) , sa propre capacité de transformation ( Exu ). Il est le fruit de ses ancêtres du côté paternel, symbolisé par le côté droit de son corps, et de ses ancêtres maternels représentés par le côté gauche. Il a hérité des dieux de ses parents. Sa tête a été modelée par "  le potier divin" à partir de matériaux qui l'apparentent à certains dieux.

Tous ces dieux, d'origine, d'héritage, de destin se présentent en lui, l'entourent et l'animent. Ils forment une configuration complexe, si étroitement entrelacée qu'on l'appelle la trame ( enrêdo). La trame d'une histoire, c'est l'intrigue qui anime les personnages, le déroulement de l'action. L'individu est au centre d'un drame divin, où s'exprime d'abord le Seigneur de la tête, celui que les rites d'initiation devront « fixer » une fois pour toutes. Mais l'initiation aura également pour fonction de « fixer » ( assentar) les autres dieux de la trame, chacun à la place qui lui est propre, de manière à ce que les relations entre eux soient les plus harmonieuses possibles.
On nous parlera souvent de l'Orixa second, du troisième, qui ont parfois une forte influence sur leurs enfants. On soulignera la très haute responsabilité qui est celle de la grande prêtresse ou du grand prêtre ( Mae ou Pai de Santo) , puisqu'il s'agit d'assigner à chacun des dieux la place qui lui revient. C'est pourquoi on les appelle Mère ou Père des Orixas ( Iyalorixa, Babalorixa) car l'homme n'est pas un pauvre jouet aux mains des puissances. Par les rites, il recrée le monde et même les dieux qu'il fait (Fazer o Santo). Il alimente les dieux. Il peut leur prêter son corps, sa danse, sa voix. Il peut n'être tout simplement qu'un fidèle très humble, assis sur le dernier banc, au fond de la grande salle que jamais aucun Orixa ne désignera pour son service. Mais il n'en a pas moins son rôle à jouer, dans la structure du monde, dans la distribution de l'énergie sacrée. Il a des devoirs envers lui-même et le premier de ces devoirs est de savoir qui il est. Par exemple si la religion catholique nous apprend à être ce que l'on devrait être, le Candomblé, lui, nous apprend à accepter ce que l'on est...



Le cœur du problème, la réafricanisation du candomblé

Un processus qui est courant, dernièrement, dans les religions afro-brésiliennes et qui soulève de grandes discussions peut être considéré comme la conséquence religieuse et théologique de l'esclavage et du catholicisme forcés des nègres. C'est ce que l'on appelle la réafricanisation.

L'idée, qui compte surtout, avec l'appui des classes les plus intellectuelles parmi les religions afro-brésilennes, est de « réafricaniser » ces religions, c'est-à-dire de les purifier de tous les éléments extérieurs –même les catholiques qui peu à peu se sont ajoutées à elles.

Il s'agit d'une tentative pour s'opposer le plus possible au syncrétisme.

Principalement, l'identification entre les Orixas et les saints catholiques est remise en question. Ce processus ne consiste pas en premier lieu à un rejet de tout contact avec le catholicisme. Il s'agit plutôt d'un effort d'auto-affirmation de ces religions par rapport au contexte religieux du Brésil. A cet effort d'auto-affirmation, s'ajoute aussi la tentative de mettre en exergue la religion pure, en s'opposant aux charlatans très actifs également dans ce domaine religieux.

Si d'une part, il y a continuité du processus de syncrétisation, d'autre part la réafricanisation est un processus de résistance contre la dégénérescence. Les groupes religieux les plus traditionnels se replient sur eux-mêmes et essayent de discréditer les groupes non orthodoxes. C'est une sorte de mouvement de purification de l'intérieur même des religions afro-brésiliennes.

Les principaux objectifs du mouvement de réafricanisation sont d'empêcher la dégénérescence et de susciter un retour aux sources. C'est justement ce « retour aux sources » qui reste très discernable. Revenir à quelles sources ?

Il y a deux tendances à l'intérieur du mouvement de réafricanisation. L'une insiste sur un retour vers l'Afrique. Cette tendance qui a son foyer le plus fort surtout à Sao Paulo prétend que les véritables racines des religions afro-brésiliennes doivent être cherchées en Afrique. Donc des personnes sont envoyées en Afrique pour une formation, un apprentissage de la langue et une initiation religieuse. Les parties de la religion qui ont été perdues doivent être récupérées.

L'intérêt, surtout, est d'introduire au Brésil les parties de la religion qui ont été perdues lors de son transport de l'Afrique vers le Brésil et de récupérer pour la religion les éléments non transmis. Cette tendance a comme point de départ l'idée que les religions afro-brésiliennes sont des religions africaines (à l'intérieur du Brésil) et qu'elles doivent être réorganisées comme telles.

L'autre tendance dans le mouvement de réafricanisation insiste sur l'aspect « afro-brésilien » de ces religions. Mère Stela, de la très fameuse maison d'Opô Afonja énonce sa position de façon très claire : « le candomblé a cessé d"être une religion afro-brésilienne pour devenir brésilienne. Il a cessé d"être une religion africaine pour devenir afro-brésilienne ».

La religion au sens propre, à force, existe davantage ici au Brésil même et elle argumente : « je trouve que c'est du fanatisme que de sortir du pays en quête des racines. Il n"y a pas de raisons d"aller chercher les racines, on peut aller jusque là-bas pour voir s"il existe un lien ou comment fonctionnent les choses, pour apprendre parce qu"il est bon d"apprendre. Mais les racines sont chez nous, nous sommes les branches et les supports de ces racines. Si les racines meurent, les branches ne résistent pas, donc nos racines sont ici ».

Cette tendance représentée par Mère Stela insiste sur les éléments africains qui sont vivants et elle est contre l'introduction de nouveaux éléments au nom d'un prétendu « devoir être africain » qui n'ont rien à voir avec les traditions africaines présentes au Brésil.

Ce retour à « la pureté » des traditions africaines doit tenir compte du développement survenu au fil du temps, aussi bien en Afrique qu'au Brésil.
D'autre part, il ne suffit pas de retourner tout simplement en Afrique, sur les lieux d'où sont originaires ces religions pour aller à la recherche de leurs racines, comme si là tout s'était figé dans le temps et comme si le processus de la colonisation africaine n'avait pas modifié profondément ces cultures aussi. La réafricanisation ne peut chercher à pratiquer une espèce de « revivification » des religions qui ont existé dans le temps, car il est nécessaire de tenir compte des transformations et des changements qui ont eu lieu dans les cultures vivantes. Cette tendance du mouvement de réafricanisation n'est donc pas l'expression d'un conservatisme religieux, mais plutôt une tentative de rétablir une identité africaine dans ces groupes. La réafricanisation n'a pas seulement une dimension religieuse mais touche de manière consciente le niveau socio-politique et défend une décolonisation, c'est-à-dire aussi bien une évaluation critique de la colonisation avec ses influences sur les cultures africaines au Brésil qu'une prise de conscience des descendants africains.

Les deux tendances internes au mouvement pour la réafricanisation ont en commun la défense des traditions africaines et le rejet du syncrétisme.
Mère Stela expose de façon claire ce qu'elle entend par réafricanisation : « Toute mère de saint qui se respectait, d"une part «  era do santo » (appartenait au saint ), mais d"autre part allait à l"église. En outre, elle avait de grandes connaissances et faisait dire la messe. Cela demeurera ainsi. Le jour de Xangô, elle allait là puis revenait, puis elle avait « le xiré » (obligation religieuse dans le candomblé) . Mais je pense, qu"à mon époque il n"y avait rien de tout ça. Ces pratiques existaient davantage du temps des Africains parce que ceux-ci devaient adorer les deux religions. C"était leur jour de congé, le jour de la Sainte Anne ils faisaient une fête pour Nana. Ils chantaient pour Nana, dansaient et ..... c"était-à-dire qu"ils trompaient leur monde et à cette époque là ça marchait. Mais ce n"est la faute à personne, la faute est à la situation sociale du nègre qui était analphabète. Ne dites pas que ce n"était pas vrai parce qu"il était tellement ingénu qu"il continua à conserver ce syncrétisme et même les mères de saint se pliaient à ça pour obtenir un meilleur statut et en effet ça faisait partie des pratiques.

"Mais de nos jours, ce n'est plus nécessaire parce que ça, je le combats. Il n'y a plus de messes pendant l'axéxé, il n'y en a plus.... Les images chrétiennes sont de côté. Nous n'avons plus le syncrétisme... et pour les fêtes des Orixas, il n'y a plus de messe, il n'y a rien de tout ça... ".

Cependant, pour d'autres, il n'y a aucun motif pour la conservation des éléments syncrétiques. Ces éléments ne sont plus des éléments étrangers et il font partie de la tradition afro-brésilienne.
Luis Muriçoca, un père de saint, rejette décidément l'idée de la réafricanisation : « je sais que le Seigneur de Bomfim n"est pas Oxala, mais personne ne va retirer son image de mon Pegi ». Il affirme qu'il continuera la tradition des vendredis qui consiste à aller à la messe dans l'église de Bomfim et les mardis, jour de Ogum, d'aller prier à l'église de Saint Antoine da Barra. Et il argumente de la façon suivante : « Je fais cela depuis tout jeune. C"était mes grands-parents qui me l"avaient enseigné ».

Dans cette argumentation, il est clair que les deux courants religieux (chrétien et africain) ne sont pas simplement mêlés ou confondus, mais que les deux constituent des traditions communes pour une partie de la population qui ne peut plus les séparer. Les deux courants forment une tradition unique. Dans ce contexte, on peut dire que la réafricanisation signifie autant recherche d'authenticité et d'autonomie des religions afro-brésiliennes que perte ou séparation des traditions ou réinvention aussi.

Cette recherche d'authenticité et de pureté dans les religions afro-brésiliennes faite au nom d'une « fidélité à l"Afrique » privilégie une tradition africaine déterminée, réputée comme « pure » et « vraiment africaine ». Le Candomblé et spécialement la tradition « Nagô » sont parfois présentés comme des modèles de cette pureté. On ne peut pas nier que, en général, les communautés de cette tradition sont plus stables et mieux organisées et qu'elles ont été l'objet de nombreuses recherches.
Ces communautés appuient et mettent en avant ce mouvement de retour à l'Afrique. Mais cette «  pureté africaine » recherchée et vantée est critiquée comme étant d'inspiration intellectuelle et discriminatoire. Selon cette critique, les communautés plus traditionnelles cherchent à discréditer les autres communautés afro-brésiliennes au nom d'une pureté des traditions. Finalement, même les chercheurs ayant pris la tradition Nagô comme point de référence pour leur recherche ont fini par contribuer d'une certaine manière à ce que les autres traditions afro-brésiliennes comme l'Umbanda, la Macumba , le Candomblé de Caboclo et le Candomblé d'Angola soient réputés comme des formes survivantes, dégénérées, défigurées et moins intéressantes du point de vue religieux.
La recherche n'a pas seulement joué un rôle d'observation : elle finit par avoir une influence sur le développement des communautés elles-mêmes ; les dirigeants des communautés religieuses ayant pris connaissance du résultat de ces recherches, ils ont fini par accepter l'interprétation du chercheur comme une« orthodoxie ».

Dans cette perspective, la culture Nagô qui a été mise en valeur par les culturalistes peut être envisagée comme une couverture idéologique tissée par les intellectuels pour couvrir des luttes de pouvoir. Derrière l'idée de réafricanisation – laquelle pose un problème de théologie et de tradition – se trouverait une stratégie permettant de résister à l'avancée d'autres groupes afro-brésiliens – un problème, par conséquent, d'ordre politico-religieux.

Différents groupes se disputeraient donc, le marché religieux. Alors que le Candomblé, à cause de sa structure plus malléable, réussit à s'adapter plus rapidement aux conditions sociales et gagne du terrain dans la recherche de nouveaux membres, les communautés plus traditionnelles cherchent à démontrer leur avantage à travers une argumentation basée sur la pureté et la fidélité à la tradition.

Ce mouvement de retour à l'Afrique et de réafricanisation –entendu comme tel – traduit néanmoins une prise de conscience nouvelle à l'intérieur des religions afro-brésiliennes. Il y a, à l'œuvre, une réflexion religieuse impliquant un retour sur l'histoire de l'esclavage et sur « l'évangélisation » (le catholicisme ) forcée des noirs amenés là...

La réflexion historique suppose des prises de responsabilité. Les dirigeants des religions afro-brésiliennes le reconnaissent et œuvrent à lui donner une direction.

Dans un contexte de mondialisation, les réflexes identitaires s'exacerbent.

Les années 70 voient l'utilisation et la référence au concept d'ethnicité se multiplier dans les sciences sociales américaines en même temps que surgissent, un peu partout sur le globe, des conflits définis comme « ethniques » basés sur les revendications ethniques et mettant souvent en opposition un groupe minoritaire et l' « Etat-Nation » dans lequel il est inséré, ou un autre groupe avec lequel une compétition est engagée.

On peut d'ailleurs situer comme faisant pleinement partie de ce phénomène général, l'apparition, toujours dans les années 70, d'un moment très important dans l'évolution du mouvement Afro-Bahianais dont nous nous proposons d'étudier quelques aspects. Certes, un tel mouvement doit être perçu comme l'héritier de la longue résistance culturelle et identitaire des Noirs au Brésil, mais on peut considérer ces années 70 comme un virage important dans la mobilisation ethnique. On assiste alors à l'apparition du premier bloc Afro à Bahia et, à partir de là, à une « réafricanisation » soutenue, ainsi qu'à l'émergence d'une revendication systématisée d'une identité ethnique afro-bahianaise.

Salvador vient puiser dans l'Afrique ses racines dissoutes. Le candomblé devient donc un véritable enjeu politique parce qu'il est le garant des « traditions » perdues. Cela semble incroyable : comment des gens réduits à l'état d'esclavage ont-ils pu sauvegarder un tel trésor culturel ? Dans un tel contexte, le statut particulier du chercheur appelle réflexion.

Dans cette dynamique de réappropriation culturelle, n'est-il pas celui qui fixe les règles du jeu ? Peut-on aujourd'hui encore classer et déclasser au gré des observations les différent temples de Candomblé par ethnies ou « nations » d'appartenance ?

Quels sont les processus de négociation qui s'instaurent entre le chercheur et les temples ?

Placés au cœur du système, ne deviennent-ils pas eux-mêmes un véritable enjeu dans la légitimation de la tradition ?

La plupart des chercheurs en anthropologie des religions ont axé leurs observations sur trois maisons piliers :  Casa branca , Opô Afonja et Gantois.

Quelle est leur part de responsabilité dans la recréation d'un idéal africain ? Leur fascination à l'égard de la nation Kétu, n'a-t-elle pas contribué à marginaliser les autres candomblés ?

L'initiation relève déjà d'un métissage, culturel plus que biologique. Quelle que soit la couleur de peau de l'initié, on revendique son appartenance à l'Afrique mère tout entière. C'est presque davantage un mariage politique qu'une représentation par nations.

Paradoxe de sa position de scientifique, le chercheur doit la plupart du temps gravir lui-même les différents stades initiatiques pour accéder à l'observation et à la connaissances des rites et rituels du candomblé.

A ce titre, est-il un scientifique qui accède à la connaissance de son terrain par l'initiation ou au contraire un initié qui pratique l'anthropologie ? Par sa propre initiation n'accède-t-il pas à d'autres obligations éthiques ? Sont-elles en porte-à-faux avec la recherche scientifique ?

Ne doit-on pas, enfin, remettre en cause l'observation rationaliste dans le candomblé ? Les outils méthodologiques d'une science rationaliste sont-ils adéquats pour une approche de l'irrationnel et du mystique ? Dans quelle mesure peut-on parler de sa propre expérience du mystique – voilà quelques unes des questions que ce travail essayera d'aborder.